Dans ce récit qui est largement autobiographique Sonia Nigolian met en scène l’histoire de ses grands-parents, celle de sa grand-mère, la sœur du héros national arménien Archavir Chiraguian, qui a vengé son peuple en liquidant les principaux auteurs du génocide arménien et qui, elle aussi, a connu les prisons turques.
Ce livre est aussi prétexte a son auteur de raconter les traditions de toutes les familles arméniennes de la diaspora, soucieuses de préserver leur identité… Dans cet ouvrage Sonia Nigolian avec une plume trempée dans le doux et l’amer écrit :
«Mon enfance m’a quittée sur la pointe des pieds. Cette enfance vécue dans l’insouciance et l’amour…
Je garde encore, entre mes songes et l’ouverture d’une persienne, un rayon de soleil taquinant ma mémoire, qui m’emmènera dans ce jardin qui sentait la campagne au cœur de la ville….
Je veux transporter dans mes bras cette montagne de souvenirs, pour ne pas oublier la petite fille que je fus, qui tentait de joindre les étoiles à la terre.
Une seconde à l’éternité.
J’ai grandi brusquement un jour, à la vue d’une belle jeune femme, habillée de noir et de blanc, se tenant debout, une main posée sur une commode, A son cour un foulard.
Elle, c’était Elise, ma grand-mère.
La photo était sertie dans un cadre en argent et portait en biais un ruban noir.
C’était un petit soir glacé, un soir où l’odeur de la mousse se mêlait à celle du poivrier.
La ville, ce soir-là ne dormait pas avec tous ses néons, qui, par petits coups de lumière tentaient de brûler les ténèbres.
J’ai les oreilles remplies de silence… De ce silence qui comme une vague d’écume déferle sur moi en chute lente.
L’inquiétude gagne la maison, s’installe dans tous les recoins, dans chaque pli de mon âme.
Ce soir-là, la lune reste lointaine, collée à la voûte des étoiles…
Sous la lampe qui distille une lumière avare, père, les joues bleuies par la barbe, chuchote à l’oreille de ma mère de lourds secrets qui la font pleurer.
Il y a dans l’air, cette odeur tenace de désinfectant et d’encens refroidi qui vient en effluves de la chambre de grand-mère.
De la porte ouverte, s’échappe un parfum d’absence….
Je vais à la dérive …
En naufrage mes rires et tes promesses grand-mère d’un long voyage dans ces terres, où à minuit, des femmes chantaient encore des paroles étranges.
Père me regarde, et ses larmes glissent en silence, creusant des sillons argentés sur ses joues.
Les sanglots secouent sa poitrine, comme après une longue course.
Je l’interroge du regard pour cegrand lit vide. Je fixe les draps blancs, une couleur insolente pour cette nuit de grande douleur.
Je tiens la main de père. Sur mes lèvres, mes mots se meurent.
Il n’a pas eu besoin de me parler. Les mots font parfois plus mal que la piqûre d’un scorpion.
J’ai alors compris qu’une volonté supérieure qu’il fallait accepter, sans pour autant la comprendre, rendait vaine toute promesse.
L’enterrement fut atroce. Il pleuvait des larmes.
Grand-mère fut enchâssée dans le grand vide d’un trou noir.
Mais je savais que la lumière et l’espace envelopperaient sans limite, son âme.
Pardon grand-mère d’avoir ignoré la fatigue de ton visage, de mes éclats de rire à chaque page arrachée d’un calendrier qui te rapprochait de l’instant qui allait t’éloigner de moi.
C’est cela l’enfance…Une insolence.
Des voix me murmuraient à l’oreille des mots tendres, entre deux baisers mouillés.
J’avais sur les lèvres une ébauche de sourire.
Mes parents n’avaient pas compris alors, que je dialoguais avec grand-mère, au- delà de la mort…. »
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